Depuis le début, la crise est décrite comme une crise « financière ». Pourtant, on devrait dire crise capitaliste, et ce n’est pas qu’une bête question de sémantique.
Le mécanisme à l’œuvre dans la crise est ancré dans le fonctionnement banal du capitalisme, dont la finance n’est qu’un appendice.
On peut s’en apercevoir même en payant son loyer. Voici comment.
Pour beaucoup de gens, l’intégralité des revenus proviennent directement du travail.
Mais ce n’est pas le cas d’un propriétaire qui met un bien immobilier en location. Une partie des revenus de ce propriétaire provient alors du loyer qu’il perçoit de son locataire. Que perçoit-il réellement ? Il perçoit un retour sur investissements (l’achat de son bien immobilier), mais il est encore plus juste de dire qu’il ponctionne directement une partie des revenus du travail de son locataire, c’est-à-dire des revenus qu’il n’a pas gagnés lui-même.
C’est affreusement banal mais bien le reflet du but même du capitalisme. Plus on monte dans la société, moins les revenus reposent sur le travail. Les revenus des bourgeois proviennent moins de leur travail que de leurs rentes, de leurs placements financiers, de leurs retours sur investissements, bref du capital lui-même. Finalement, d’un strict point de vue capitaliste, il vaut mieux compter sur les revenus très rentables du capital que sur les revenus du travail (qui progressent bien souvent moins vite que l’inflation).
La même logique vaut pour les entreprises.
Dans un système hautement concurrentiel, une entreprise tend à compter sur la plus-value de ses placements financiers plutôt que sur la richesse provenant du travail de ses salariés.
Alors pourquoi la crise est-elle inévitable ? Parce que la spéculation financière est en définitive une spéculation sur le travail lui-même. Les placements financiers peuvent un temps fantasmer sur un système autosuffisant mais ils sont immanquablement rattrapés par la réalité du travail. La finance ne gagnerait rien sans les revenus du travail.
Or l’environnement concurrentiel du capitalisme favorise la formation de monopoles et accentue la pression sur le travail dans un marché de l’emploi anémié. Se faisant, le capitalisme compte sur la spéculation financière tout en se privant du seul producteur concret de richesses capable de l’alimenter, à savoir le travail. D’où la crise.
Le capitalisme est non seulement un cannibale mais un auto-cannibale qui veut grossir tout en se dévorant lui-même.
Après tout cela, on comprend pourquoi la crise dite « financière » est en réalité ni plus ni moins qu’une crise capitaliste, la finance n’étant que le moyen pour le capital d’accomplir son but, à savoir se démultiplier à partir de lui-même.
Mais parler de crise « financière » n’est pas anodin. En effet, cette formulation éloigne d’une compréhension réaliste et favorise une vision dégoulinante de populisme. La finance est froide, invisible et « pas de chez nous ». L’ennemi devient ainsi une finance « sans visage », « apatride », « cosmopolite » qui complote contre l’intégrité des nations.
Cosmopolite, apatride, complot… Inutile d’être grand clerc pour repérer les poncifs de l’antisémitisme et le terreau fertile du fascisme.
Tout ça pour dire que crise « financière », ça rime à rien. Pensez-y la prochaine fois que vous paierez votre loyer !